Chronique Terrienne n° 273 Je viens de lire la note* de synthèse intitulée “La France des bars-tabacs, réinventer le dernier commerce populaire”. “Si dans mon village natal, il n’y a jamais eu de bar-PMU, étant motard, circulant en France (et en Navarre), j’y ai fréquemment posé mon cul.” (op. cit.) 😉

J’aime lire ce genre de document qui donnent à réfléchir sur l’évolution sociologique de notre pays. Le confronter à mon expérience et à ma subjectivité va donc faire l’objet de cette chronique, puisque depuis 15 ans je ratisse à la fois villes et terroirs et fais donc halte (plusieurs fois par jour lors de mes road-trips moto) dans ces établissements, qui sont partout, mais qui passent sous le radar des analystes et des médias.

“On dénombrent 13 000 bars-tabacs, dont une moitié vend également des journaux. Si on élargit la définition aux bars populaires, on doit être autour des 30 000 à 40 000 en France (parmi eux, 29 000 points de vente diffusent l’offre Française des jeux et environ 13 500, celle du PMU). Le maillage territorial de ce réseau est très fin : sur les places de village, en bord de route, dans les centres et les rues commerçantes des villes moyennes, à la sortie des gares, aux angles de boulevards très passants… Le bar-tabac est bien partout, et c’est une spécificité française.

Leur activité économique post-COVID n’est pas en pleine croissance, vous l’imaginez, avec le recul des ventes de cigarettes et le difficile commerce de la presse, sans parler de l’impact du “dry january” et de la répression sur la consommation d’alcool. Ils doivent impérativement, chacun dans leur zone de chalandise, se réinventer. Ceux qui proposent un large choix de boissons et restauration (le kawa café** est particulièrement rentable mais pas que) doivent la jouer finement face à la concurrence des coffee shops et à la diversification des modes de consommation. Leur “gagne-pain” est plutôt à chercher du côté des jeux de grattage et de paris (30 à 40% de leur chiffre). Les boulangeries (indépendantes ou autres terminaux de cuisson des chaînes) proposent aujourd’hui des en-cas goûteux et abordables pour toutes les faims de la journée. Elles sont nombreuses dans notre décor (39 000 boulangeries en France). Combien de fois en rase campagne, elles m’ont sauvé la mise, quand les bars-restau étaient fermé (les lundi souvent). Et notons que dorénavant elles me permettent presque toutes de déguster un expresso sur place aussi).

Sur un plan sociologique par ailleurs, cette étude est intéressante car elle nous apprend que les bars-tabacs accueillent dorénavant les “exclus de l’embourgeoisement”. Ces espaces conviviaux sont devenus une sorte de “refuge de la France populaire”. A ce titre j’observe souvent avec malice, lors de mes pauses motardes, les comportements de tels habitués, de la patronne (métier féminisé), du serveur, des touristes qui s’y égarent parfois comme moi…

Ces quasi “tiers-lieux” témoignent des paradoxes de notre société : une certaine idéalisation d’une part (sur les thèmes de la convivialité et de la mixité sociale) et à la fois un “marqueur de relégation” aujourd’hui avec une certaine gentrification. Si dans les petits villages, j’y trouve souvent une atmosphère “bon enfant”, ce n’est pas toujours le cas dans les villes, même si ça m’est bien sûr arrivé.

L’auteur* nous dit cependant que nos bars-tabacs jouissent encore dans notre pays d’un capital sympathie, car situé dans “un espace imaginaire et temporel qui est celui d’un passé unifié et donc très difficilement datable.”

Je le rejoins, car j’apprécie lors de ces pauses dans un café classique ou bien un bar-tabac (qu’il soit un “balto déclassé”, une “civette hybridé” ou un “café-épicerie néorural”) les courts échanges avec le patron ou la serveuse, le voisin qui voit ma moto (garée à proximité – important-) et engage la conversation… Ces espaces (et surtout leur terrasse) constituent surtout pour moi, en tant que “fragile voyageur”, un petit oasis où je peux me reposer un moment, m’hydrater, faire un point carto pour reprendre cap sur ma route.

A l’heure des camping-cars qui pullulent et du e-commerce de masse, ces petits “relais”, si utiles, sont de plus, ni formatés ni insipides. Et ça, ça vaut toutes les aventures ! JMP

 

*Note fraîchement publiée concernant des études réalisées sur 2022-2024 pour FDJ.

*Jean-Laurent Cassely, essayiste spécialisé dans les modes de vie et les questions de consommation, publie : “La France des bars-tabacs”, une étude sur l’un des commerces les plus populaires omniprésents à travers la France, qui traverse actuellement une crise. Il est coauteur également, avec Jérôme Fourquet, de “La France sous nos yeux” (Seuil, 2021) : 120 000 exemplaires et deux prix littéraires.

Raconter comment le bar, le café et le petit commerce changent sous nos yeux” : Télécharger la note ici 

**J’ai encore trouvé en 2024 l’expresso à 1,30€ dans de petits villages perdus. Il est plus globalement entre 1,50 et 1,70€ (mais pas à 3€ comme sur l’île Seguin !)

PS : Fin mai 2023, le photographe Guillaume Blot publie “Rades” (éditions Hoëbeke), un recueil de photographies de bars de quartier dans leur jus, issu d’un très gros travail de documentation réalisé aux quatre coins de la France. Café des Sports, Bar de la Fontaine, Bar des Arcades, Chez Corinne, Bar PMU de la Gare… le jeune photographe immortalise avec humour et douceur une France qui jure par le Ricard et le café Richard plus que par la bière IPA ou le café latte.

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