Chronique Terrienne n° 288 Et oui, le mot “deuil” provient de là. Cette période pendant laquelle l’affliction et la tristesse, suite à la mort d’un proche, nous envahissent.
Cette “douleur” (ou plutôt “souffrance”, car elle est psychologique et morale et pas forcément directement physique) nous noie dans un processus, celui du deuil que la psychiatre helvético-américaine Elizabeth Kübler-Ross nous a légué (au siècle dernier), sa fameuse “courbe du deuil”. Issue de ces observations professionnelles auprès de personnes en fin de vie et de leurs proches, elle qui a été pionnière des soins palliatifs et en thanatologie, elle en a recensé les phases-type. Ainsi la mort d’un proche nous confronte à un “choc”, voire à l’incompréhension, parfois le déni ; puis vient souvent la colère (le marchandage et la révolte aussi) puis alors une grande tristesse ; avant que l’acceptation (avec le temps) nous fasse nourrir de nouveaux projets et connaître parfois “un nouveau départ”. Bien sûr, certains dévissent dans la dépression, parce que la douleur est trop forte. Long sera alors le chemin… dont certains ne se relèveront plus (comme cette tante, qui, plus de 6 ans après la mort de son mari, est perdue dans un brouillard mental permanent).
Autrefois, le deuil était socialement bien matérialisé ; des usages* étaient supposés créer un climat d’ascèse propice à l’intériorité et à la mémoire du défunt. Aujourd’hui, la mort a été invisibilisée car elle se produit le plus souvent dans les couloirs d’un hôpital où dans une chambre isolée d’un EHPAD, et elle ne nous est donc plus familière.
Si “les étapes du deuil” sont aidants, elles ne sont qu’un outil, rien de plus, car chaque deuil est singulier. Mais la société donne à l’endeuillé l’injonction de rapidement passer à autre chose, car c’est plombant de penser à la mort (!) “Fais ton deuil mon gars” disait l’autre. Violent, quand on sait que le sentiment de perte est souvent immense, et qu’aucune durée n’est à affirmer, si l’on est honnête. Confronté au mystère de la mort, chacun réagira comme il peut. Avec ses propres ressources et parfois elles sont modestes tant on n’a pas voulu “regarder la mort en face” jusque-là (comme disaient les Anciens : la sagesse c’est aussi d’intégrer durant notre vie notre propre finitude).
Mais “nommer la mort et sa douleur révèle la beauté de l’existence” écrit Jean de Saint-Chéron. C’est pourquoi je prépare mon cinquième “Apéro de la mort”** à Chambéry depuis début 2024. J’ai pensé en effet qu’il était utile, voire de salubrité publique, de proposer ces espaces d’échange et de dialogue sur ces sujets tabous que sont la fin de vie, la mort, le deuil ; ceci après mon expérience enrichissante de participation à la Convention citoyenne sur la fin de vie (CCFV en 2022-2023)
Pour moi, ce sont des moments de fraternité. On y rit, on y pleure aussi, mais on y célèbre la vie.
Et quid de la mort avant la mort ? La “mort sociale” ?*** (notamment après la disparition de son conjoint). 750 000 français âgés connaîtraient aujourd’hui la vraie solitude, cad l’isolement extrême, coupés des liens familiaux et amicaux, de voisinage et associatifs. Ils pourraient être 1 million en 2030 !
Si je fais toutes les semaines des têtes à têtes (comme je le faisais dans mon métier), c’est bien sûr avec des amis (la majorité travaille et sont socialement entourés) mais c’est aussi avec des personnes âgées, un peu isolées, veufs ou veuves (anciens ou récentes), car je donne la main pour les funérailles de mon Clocher. Ainsi, être simplement présent, aux côtés de ces tantes et oncles endeuillés plus ou moins proches, ces amis confrontés à la solitude, à la perte d’autonomie, à la maladie, ces familles de mon village dans le désarroi de la perte récente d’un être cher… c’est ma petite contribution personnelle à la lutte contre la douleur 😉 JMP
*veillée mortuaire, habits noirs, brassards, tentures sur l’entrée de la maison, corbillard dans le village, jeûne etc…
** Lire à ce propos mon post : https://jmponcet.fr/2024/12/16/apero-de-la-mort-a-chambery/
Participation gratuite (sur réservation) le 30 oct. 2025 : https://www.happyend.life/evenement/apero-de-la-mort-a-chambery/
***Cf. l’article de La Croix du 30 09 2025 : “La lutte des petits frères des pauvres contre la solitude” à l’occasion de la parution de son 3ème baromètre sur la solitude des personnes de plus de 60 ans (en 2025 : 2,5 millions d’entre elles se sentent seules quotidiennement et 1,5 million ne voit quasiment jamais leur famille proche)