Vous en conviendrez, le passage chez le dentiste est un des pires moments de l’année. Quoi de plus intrusif en effet, qu’une roulette sous la molaire et un aspirateur dans la gorge ? Et alors, en prenant ma retraite, la dent de sagesse arrive. Je réalise que je suis victime de violence gratuite depuis des années. En effet j’ai donc dit STOP ! Quand vous ne pouvez vous exprimer et que le praticien est doublement mutique et brusque : on est bien en situation de violence.
Quand une simple visite de contrôle (avec détartrage express) le tout en moins de 15 minutes chrono vous laisse groggy sur la pas de la porte, il faut réagir !
J’ai donc délaissé “l’usine à dentistes” pour un petit cabinet artisanal où un professionnel (doux) m’a été recommandé. Il parle, lui : précisant ce qu’il va faire sans vous surprendre. Il est calme et opère avec une forme de douceur dans ma bouche. Je ne ressens plus cette emprise physique, visser à ma chaise la tête en bas, avec deux cosmonautes au-dessus (et trois écrans au plafond). Et puis, concernant le changement éventuel de mes couronnes, il ne m’édite pas un devis à 800€ sans me demander mon avis, ni entrer dans le détail. J’en ai vraiment marre de ces gens toujours pressés qui organisent tout pour leur petit confort personnel et s’en mettent plein les poches. Un soir dans un club mondain, après un repas bien arrosé, j’avais écouté les confidences de l’organisation, toute personnelle et centrée sur ses petits besoins, d’un dentiste qui menait grand train. Il faisait croire à toute sa clientèle qu’il était overbooké, cachant une organisation bien rodée avec plusieurs employées (et des tarifs rondement élevés) qui lui permettait de partir pendant trois semaines, en vacances au bout du monde, tous les deux mois ! Impressionnant, mais pas vraiment éthique pour moi.
Les grosses voitures noires aux vitres teintées sur le parking réservé derrière le bâtiment, témoignent de la dimension lucrative de la Clinique que je viens de quitter. Mon nouveau dentiste, est un passionné de musique, il a même enregistré quelques CD qu’il propose à la vente et qu’il distille dans sa salle d’attente.
On a besoin de simplicité et de chaleur humaine, pas que de technicité (qui n’a pas permis, disons-le en passant, de découvrir la tumeur cancéreuse sur la mâchoire de mon père à temps -il a fallu trois visites sur 7 mois pour la découvrir, trop tard-) Piètre résultat !
Mais oui, quand tout est pensé pour optimiser, pour la rapidité et pour la productivité, de choses graves on peut passer à côté.
Tout comme je suis moi-même passé des années à côté du visage (masqué) de l’assistante dentaire… qui m’a reconnu dans un club motard (où elle ne sortait pas masquée et ne portait pas de charlotte sur la tête !) Tout ça, c’était avant la crise COVID, cette belle époque où les masques n’étaient portés que par quelques professions seulement. Bref, si je suis heureux de ne pas m’être fait brutaliser hier chez mon nouveau dentiste, il m’a surtout dit : “votre palais n’est pas laid”. Je lui répondis que j’étais Dauphinois et non Népalais. Il me dit : “Où êtes-vous donc né ?” Je lui dis que si mon père était Nez à Grasse, moi je suis né en Dauphiné. “Au Palais du Dauphiné ?” me dit-il. (Ai-je une tronche à être né pas laid au Palais ?) “Non, à la Maternité de la Clinique Mutualiste à Grenoble, pas au CHU de La Tronche.” “Ah, tant mieux me dit-il, vous n’êtes donc pas Tronchois.” Il est vrai que mieux vaut être Grenoblois que trop chiant. Oui le Tronchois est chiant ! La Tronche, Bivier, Corenc, c’est le quartier doré des Bourgeois. Le CHU s’y installa en bas, au début des années soixante, dans un méandre de l’Isère. Ainsi, vous avez des générations d’Isérois qui sont nés Tronchois. Beaucoup (d’ici et d’ailleurs) ont le melon. Mais personne n’est pas laid comme moi 😉

JMP (© 2025)

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