Chronique Terrienne n° 255  Mettre 1h15 au lieu de 20 minutes sur mon parcours autoroutier, pour rejoindre ma ville voisine, quand vous tombez (un vendredi de mars à 18h30) sur une horde de SUV en délire : c’est une sale expérience, car je n’ai rien demandé moi ;-( Tout l’hiver en Rhône-Alpes, nos voies de circulation sont régulièrement bondées, voire bloquées pendant des heures pour cause de transhumance automobile, vers et depuis les stations de ski. En ces temps de réchauffement climatique, le pire c’est que la fréquentation de la montagne en hiver dans ma région continue de s’accroître. Le chiffre d’affaires augmente toujours alors qu’en 50 ans, les Alpes on perdu un mois d’enneigement en moyenne.

Ces pics d’affluence (pas qu’en fin d’année et en février) sont d’une gabegie sans nom. Trafic ininterrompu sur 2, voire 3 voies de l’A43 et A41 depuis Lyon ! Cul à cul sur les routes secondaires et de montagnes. Les grosses berlines, pleines à craquer, surconsomment et polluent nos contrées, puis bloquent les accès des riverains que nous sommes.

En stations, on suréquipe les pistes de canons à neige depuis des décennies et on creuse des retenues d’eau douce géantes. On est encore loin de la sobriété nécessaire alors qu’on organise de grands raouts en altitude pour des milliers de touristes (not. étrangers et aussi alcoolisés) sans respect de notre environnement. Et sur le plan sanitaire* : quand viennent les skieurs déchaînés, les urgences du CHUGA sont débordées. Fractures en tous genres, hélicos à l’appui ; nos petits vieux qui ont la malchance d’avoir un souci de santé en de telles périodes, peuvent toujours attendre sur leurs brancards dans les couloirs.

Le lobby des stations de ski se victimise en parlant de “ski-bashing” dans les médias. Ils argumentent que les recettes supplémentaires générées vont servir à la transition écologique. Cette dernière, on peine à la voir en altitude. Ils reprennent les sages de la Cour des comptes, en évoquant “les graves préjudices que son récent rapport** va leur causer”.

La réalité, c’est que la situation est dramatique : les glaciers fondent comme neige au soleil, les rochers se détachent des montagnes (la voie ferrée vers l’Italie est fermée depuis 6 mois). Montagne qui est devenu en quelques années un véritable parc d’attraction géant ! La multiplication des nombreuses activités sportives et ludiques, notamment des trails et autres courses massives n’arrangent rien à sa sauvegarde.

Certains semblent n’avoir pas encore compris, alors qu’en dessous de 1800m le ski est totalement condamné dès aujourd’hui. Ou plutôt, le puissant lobby se caractérisant surtout par les 59 plus grandes stations (qui pèsent 80% de la fréquentation) “ne veut pas entendre”. Le monde de la montagne s’enorgueillirait d’activer leur transition climatique en constatant définitivement la fin de l’or blanc. Des stations emblématiques sont en train de fermer (et pas que des petites) à titre d’exemple, Les Arcs, qui est confrontée à la fonte rapide du glacier de l’aiguille Rouge. Le maire de Bourg-Saint-Maurice a ainsi annoncé la fermeture de la station d’ici 2027.***

Ma voisine, modeste skieuse, subit actuellement les symptômes de la glisse : suite à un rupture de ligament à un genou, elle est depuis 3 mois en arrêt total et ne connait pas encore l’échéance de sortie de ses ennuis selon les scenarii (rééducation ou opération).

“Quand la neige fond, où va le blanc ?” demandait Shakespeare, mais “Si le ski alpin, qui a le beurre et la confiture ?” me demandait Toto. J’ai ma petite idée. JMP

PS photo : une descente effectué aux Arcs, au siècle dernier, par votre skieur serviteur 😉

* Selon les données épidémiologiques de l’Association des médecins de montagne (AMM à Chambéry), 113 200 blessés en 2023. (Environ 5% d’hospitalisation directe -statistiques sur la dernière décennie-)
8 millions d’usagers des pistes, dont 80% en ski alpin. La blessure qui arrive dans plus d’un tiers des cas (34%) est l’entorse du genou. Elle entraîne dans 18% des cas une rupture du ligament croisé. Cette lésion génère “plus de 820.000 journées d’arrêt de travail” chaque année et “les dépenses induites par les soins médicaux et le coût social de la rupture du ligament croisé représentent 1,3 milliard de francs (200 millions d’euros)”, d’après des chiffres avancés par l’Assurance maladie en 2001 (manifestement les derniers disponibles)…

** Rapport de la Cour des Comptes du 6 février 2024 “Les stations de montagne face au réchauffement climatique” : “Un modèle économique qui s’essouffle”, “une politique d’adaptation en deçà des enjeux”, “la nécessité d’une meilleure préservation des ressources naturelles”… Un verdict peu glorieux et un appel aux efforts mal reçu par les professionnels de la montagne. (DSF, le Syndicat des Domaines skiables de France regroupent 230 stations)

*** “Capital” le 14 02 2024

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