Chronique Terrienne n° 258  Je termine la lecture du livre de mon philosophe contemporain préféré, Charles Pépin (dont j’ai déjà parlé ici plusieurs fois) : “Vivre avec son passé.” * L’auteur nous propose “une philosophie pour aller de l’avant”, c’est à dire “comment faire de son passé une force d’avenir ?”

“Il est des souvenirs heureux comme d’autres traumatiques. Le souvenir de tous ces épisodes constitue la mémoire du chemin qui fait de nous la personne que nous sommes aujourd’hui.” Notre mémoire n’est pas stockée comme dans un disque dur informatique. Elle est évidemment subjective mais également plastique. Tout n’est pas figé, comme dans une bibliothèque de vieux manuscrits. Encore faut-il, en évitant justement l’évitement et le déni, “travailler” sur son passé. “Nous n’avons pas besoin d’être d’accord avec notre héritage pour qu’il se perpétue à travers nous (bien au contraire). Nous pouvons mettre toute une vie pour comprendre que nous portons souvent au-delà de notre passé individuel, le passé de nos aïeux et même le passé de notre classe sociale.”

Je pense comme lui, qu’à la quarantaine, à la soixantaine, il nous appartient de revisiter notre passé. De le recomposer, pour mieux composer avec lui et ainsi repartir de l’avant. Entre sagesses antiques, nouvelles thérapies et sciences cognitives, Pépin nous montre comment entretenir un rapport libre et créatif avec notre passé. Comment ne pas devenir prisonniers de son passé, de son histoire, comme certains d’entre nous ?

“Notre passé est là à chaque instant. C’est lui qui donne du goût à tout. A ce moment présent, si puissant si complexe. Comme à ce projet d’avenir, si ambitieux, si cohérent.” Les orgueilleux se gargarisant de ce qu’ils furent, ou les victimes qui ne digèrent pas la prétendue injustice de leur échec existentiel, ne vivent pas de manière apaisée avec leur passé. “La vieillesse nous attache plus de rides en l’esprit qu’au visage ; et ne se voit point d’âmes, ou fort rares, qui en vieillissant ne sentent l’aigre et le moisi” écrit Montaigne dans “Les essais”.

“Notre passé est là, mais il ne doit pas prendre toute la place.”

C’est à un mouvement en trois temps que nous invite dans ce livre Charles Pépin : “Notre bonheur dépend ainsi de notre capacité à bien vivre avec notre passé.” Ne pas vivre dans le passé demande vraiment l’effort de le reconvoquer, notamment à certains âges clefs. Ne pas le subir mais plutôt ouvrir avec lui un dialogue ouvert et exigeant**. Ensuite, il s’agit de le confronter à notre avenir pour en faire aussi quelque chose de neuf. Puis enfin, élargir ce même dialogue au monde et aux autres. L’enjeu : se décentrer avec le souci d’autrui et du bien commun.

Cet ouvrage devrait s’intituler “Manuel pour tenter d’éviter de devenir un vieux con” ! Il est question du risque de ressassement et d’amertume, mais surtout de s’alléger et de pardonner… “Bien vieillir est un art qui commence à se pratiquer jeune. Notre passé ne nous enferme ni dans une essence, ni dans une identité, encore moins dans un affect” dit Pépin.

“Nous pouvons le réinterpréter, voire le transformer” ; parfois en étant bien “épaulé” ! JMP

 

* “Vivre avec son passé. Une philosophie pour aller de l’avant.” (Allary Editions, 300 pages, septembre 2023)
** Les “pratiques narratives” que j’utilise en coaching de transition (“L’arbre de vie” par exemple), nous aident dans ces prises de recul salutaires.

“Grande est cette puissance de la mémoire, prodigieusement grande, ô mon Dieu ! C’est un sanctuaire d’une ampleur infinie. Qui en a touché le fond ?” Saint-Augustin

“Un mouvement en avant continuel, qui ramasse la totalité du passé et crée le futur, telle est la nature essentielle de la personne.” Henri Bergson

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