Chronique Terrienne n° 218 Je le tutoie ou je le vouvoie ? Parfois, cette décision est un vrai casse-tête ! Il nous faut faire un choix et ce choix, d’emblée, nous place au cœur d’enjeux considérables, car ces “tu” et ces “vous” que nous employons sans y prêter attention sont plus que des pronoms. Ils engagent notre relation à l’autre, dessinent notre manière de concevoir le monde, trahissent nos états d’âme. *
Tu, toi, vous, nous … si pour moi il y a la politesse et la courtoisie, le respect et la reconnaissance, ils se conjuguent avec la proximité et la bienveillance. C’est le juste inverse de la promiscuité, cad être intrusif (via son comportement ou même son attitude, évidemment via ses propos -ex. certains questionnements-, et bien entendu son regard etc…)
L’enjeux majeur est ainsi celui de la juste distance, bonne intelligence sociale et relationnelle.
Un exemple : alors que je regarde un modèle de moto après être entré en concession, un jeune homme de 25 ans environ m’aborde en me tutoyant “direct” !
S’il est de notoriété publique qu’on ne peut que se tutoyer dans le milieu motard, je suis un client du magasin, pas son pote ! De plus, je pourrais être son père… “Honni soit qui mal y penche” dirait le coach-motard ! **
Si je suis donc un adepte du vouvoiement initial, j’apprécie néanmoins l’étape où, dans une relation, la transition au tutoiement émerge naturellement. Toute la question me semble-t-il est de “contractualiser”, cad de le verbaliser, pour obtenir à coup sûr l’accord clair de son interlocuteur.
Je repense ici à mon tout premier patron, qui me prenait par l’épaule en me tutoyant (ce dès l’entretien d’embauche) : je n’avais pas encore vraiment compris à cette époque que c’était aussi un geste de domination, l’intention de prendre l’ascendant, jusqu’à ce qu’une divergence de vue un an plus tard me permit de comprendre qu’il cherchait à m’influencer grossièrement. Grâce à lui, j’ai ensuite été plus vigilant avec mes autres managers, mais aussi avec mes collaborateurs. La solution que j’ai trouvée, avec laquelle je suis à l’aise depuis des années est la suivante : vouvoyer, mais en appelant mon interlocuteur par son prénom. Je sens dans ce cas, à la fois le respect d’une bonne distance et une forme de belle proximité.
Inutile de préciser encore que c’est la congruence qui fait l’impact : le regard dans les yeux, la gestuelle conviviale (même mise à mal avec les gestes barrières, on a toute latitude pour faire sympathique… ou pas !) C’est une question d’assertivité avant tout : prendre sa place, rien que sa place, mais toute sa place.
Et que dire des expression “d’au revoir” sensées clôturer un échange ou un mail ! “Bonne journée”, “Bonne soirée” … Ceci, consciemment ou pas, sont parfois là pour ne pas utiliser de pronom et éviter de trancher. Moi, je choisis souvent d’écrire “bien à vous ou bien à toi” en fin de mail, en ayant commencé mon message par “Bonjour Patrice”/”Bonjour Alice”, et non par un seul “Bonjour”, impersonnel à souhait.
Avez-vous ressenti avec certaines personnes que vous rencontrez pour la première fois comme c’est agréable de se sentir très bien au bout seulement de quelques minutes ? A la fois connecté et à la bonne distance, dans une communication fluide, et enthousiasmante par ce qu’elle nous promet… JMP
PS : “Have a nice day !”, avec le ton enjoué et le sourire qui va avec, fut une belle sensation lors de mon premier séjour aux Etats-Unis (en 1983) où j’avais trouvé les vendeurs/serveuses de magasin très sympathiques et expressifs par rapport à la France.
* C’est le sujet passionnant du livre d’Etienne KERN paru en octobre 2020 chez Flammarion : “Le tu et le vous, l’art français de compliquer les choses”. Ici le replay de l’émission de RTL à laquelle il participe sur ce sujet en mars 2021.
** Lire à ce propos les différentes familles de motards (les purs, les frimeurs, les bikers, les poireaux…) in “Encyclopédie imbécile de la moto” chez Glénat ! (d’ailleurs un de mes fils vend les motos d’un marque “premium” dont les clients sont plutôt des cadres sup. et des entrepreneurs…) Je sais qu’il les vouvoie dans le tout premier contact…”