Chronique Terrienne n° 240 “Le travail, pour quoi faire ?” titrait un récent numéro du “1”.* Alors qu’il y aurait 29% des Français qui ne perçoivent ni le sens ni l’utilité de leur travail ; je ne vais pas ici vous faire la litanie de l’hyperspécialisation et de la bureaucratisation, ni du télétravail et du management martial, ni de l’IA, ni de la semaine de 4 jeudi jours et du stress à notre entour (40% disent le subir au quotidien sur leur lieu de travail)…
Selon mes lectures, ce même travail n’est “très important” que pour 24% de français aujourd’hui, contre 60% en 1990.** Au rang des choses “très importantes” dans la vie des Français, la famille continue d’occuper la première place (citée par 71 %), mais elle est désormais suivie par les amis/les relations (46 %) et les loisirs (41 %), devant le travail qui se classait en deuxième position en 1990. Ce dernier reste “assez important” pour 62 % des actifs interrogés.
Après une épidémie mondiale et un conflit sur les retraites, la question du travail, longtemps masquée par celle de l’emploi, est au centre des débats. L’enjeu du sens au travail y occupe une place particulière. “Avec la logique de récompense et celle du bien-être, le sens est un troisième levier d’engagement pour les entreprises qui a été moins exploré”, souligne Jean-Baptiste Barfety. Pour l’auteur de “L’entreprise, objet d’intérêt collectif”, la demande de sens au travail est avant tout une demande de lien.***
Ce désintérêt voire désengagement ****, ce phénomène de démission silencieuse (ou “quiet quitting” comme disent les anglo-saxons) peut s’expliquer par différents facteurs et principalement par le manque de considération financière et par le désenchantement des salariés vis-à-vis des promesses non tenues de l’entreprise, en termes d’émancipation, de reconnaissance et de bien-être. Ainsi l’équilibre vie professionnelle/vie privée est aujourd’hui devenu essentiel.
Si le labeur professionnel n’est plus aujourd’hui aussi structurant puisque relégué dans l’ordre des priorités des Français, la question classique “Que fais-tu dans la vie ?” pourrait devenir maintenant “Qu’est-ce qui te plaît en Asie dans ta vie ?”
Et bien certains, comme Barbara, vous répondront : “Œuvrer à son compte” ! ***** Le nombre total d’auto-entrepreneurs a augmenté de plus d’un million en 15 ans. Les évolutions du marché du travail ont été propices à un tel développement, mais cette explosion s’explique aussi par l’intérêt des plus jeunes pour cette forme de travail. Au fil des années, c’est devenu un choix séduisant, un choix de vie ; notamment quand on a des enfants. Et en étant indépendant, tous les jours on recherche du taf ; interdit d’être inefficace. Je peux vous dire que ça, ça donne un sens de forçat !
Chez nous, Astrid°, comme Barbara°° notre fille, sont chacune à leur compte à leur manière, comme je l’ai été plus de la moitié de ma carrière. JMP
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* LE UN HEBDO N°470 du 8 nov. 2023
** IFOP 2022 pour la Fondation Jean Jaurès
*** “L’entreprise, objet d’intérêt collectif” (rapport Notat-Senart, 2018) est à l’origine des sociétés à mission.
Jean-Baptiste Barfety a publié également en juin 2023 “Du sens à l’ouvrage : comprendre les nouvelles aspirations dans le travail”. Plus d’infos sur https://www.projet-sens.fr
**** Voir aussi l’édition 2023 de l’étude annuelle “State of the Global Workplace” de Gallup qui révèle que les salariés français figurent parmi les professionnels européens les moins engagés au travail, avec un taux d’engagement de seulement 7 %, en dessous de la moyenne européenne de 13 %.
***** Le “freelance” est plutôt un prestataire/sous-traitant, tandis que le “solopreneur” va vendre ses propres produits/services.
La citation : “Je n’ai jamais été heureux, je le sais, ni pacifié, que dans un métier digne de moi, un travail mené au milieu d’hommes que je puisse aimer. Je sais aussi que beaucoup, sur ce point, me ressemblent. Sans travail, toute vie pourrit. Mais sous un travail sans âme, la vie étouffe, et meurt. N’est-ce pas alors le véritable effort d’une nation de faire que le plus possible de ses citoyens aient le riche sentiment de faire leur vrai métier, et d’être utiles à la place où ils sont ?” Albert CAMUS
NB : “Parce que le sujet de l’équilibre entre vos différents temps de vie, le Conseil économique, social et environnemental (CESE), troisième assemblée de la République, lance une grande consultation citoyenne pour comprendre VOTRE rapport au travail, VOTRE ressenti, et VOS envies. Vos réponses et vos réflexions contribueront à formuler des propositions à la Première ministre, pour que le futur du travail soit un futur qui vous ressemble. Les premiers résultats seront présentés fin janvier à l’occasion d’une restitution aux partenaires sociaux nationaux interprofessionnels. En avril 2024, le CESE formulera de recommandations à destination du Gouvernement et des partenaires sociaux.” Je participe à la grande enquête : https://participez.lecese.fr/project/vieproperso/presentation/presentation